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L’Avenue de Tervuren

5/24/2020

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La première fois que je me suis rendu compte qu’elle était belle, j’étais assise dans un penthouse de l’immeuble au coin de l’avenue et de la rue des Tongres. Je me suis dit que c’était une grande chance de pouvoir admirer tous les matins son charme, en buvant du café sur une grande terrasse en bois de teck, remplie de buissons ornementaux et d’arbres fruitiers exotiques.
Deux hommes habitaient dans l’immense appartement sous le toit de la tour. J’avais vingt ans à l’époque et Philip me semblait être un vieux gentleman. Aujourd’hui, je dirais que c’est un bel homme mûr et charmant. Son ami Marc, qui était de mon âge, m’impressionnait par sa persévérance et son intelligence. Tandis que, moi, j’assimilais avec difficulté les méandres et les subtilités de la langue française, lui, il jonglait sans aucun effort avec ses connaissances et ne se préoccupait pas de choisir sa voie. En effet, il étudiait avec la même facilité la médicine et les beaux-arts. 
Obraz
Les deux hommes présentaient très bien, en chemises blanches lorsqu’ils sortaient ensemble au théâtre.  Il leur manquait du temps pour le repassage, moi, j’en disposais à volonté. J’avais du temps, mais pas d’argent. Tout comme Marc, je rêvais d’une vie confortable. Le moyen d’y parvenir était différent pour chacun de nous. Pour moi, c’était la connaissance de la langue française.
Marc se passionnait pour l’enseignement. Ses cours étaient imprégnés de mystère. On s’asseyait devant une table en bois brut dans un salon spacieux, presque vide, dont les fenêtres couraient du sol au plafond. Au-dessus de nos têtes, il y avait un lustre en cristal véritable, d’une taille impressionnante ; dans bien de palais il n’aurait pas déparé. C’était sans doute la perle de cette maison. D’une splendeur baroque, des tubercules gonflés, finis en pointe, jouaient deux fois par jour un majestueux spectacle de lumière. Lors du coucher et du lever du soleil. Un lien de sympathie, sans sous-entendus, s’est installé entre moi et Marc. Une Slave blonde et un étudiant homosexuel franco-italien. Pourtant, quelque chose de très fort nous attirait.  
Je n’ai jamais rencontré, ni avant ni après, quelqu’un dont l’anniversaire était le même jour, le même mois, la même année que le mien… Deux verseaux d’une vingtaine d’année. On ne parlait pas de notre vie sentimentale. C’était les années quatre-vingts, je venais de Pologne. Tout ce qui différait de mon village de Podlaskie m’intriguait.   
Nous avons fait connaissance fortuitement, dans un supermarché d’à côté, alors que j’accrochais une annonce sur un panneau d’affichage ; Marc était le premier à la lire. Il venait de sortir pour acheter des cigarettes, et il rentra avec une Polonaise un peu dépaysée qui, à l’époque, ne savait presque pas faire le ménage ou repasser.
Philip m’a jeté un regard noir. Réticent, il a consenti au caprice de son copain. Il a demandé le prix, il a payé le montant et il est sorti travailler. Désormais, ce scénario s’est répété de manière cyclique.
Dès que Philip fermait la porte, dès qu’on entendait le grincement paresseux de l’ascenseur en fil métallique, on commençait, tels des enfants espiègles, à jouer à la Play Station. Mark sortait ses Lucky Strike de leur cachette et il en aspirait la fumée avec plaisir : il ne fumait pas en présence de Philip. Désireuse de partager son péché mignon, je l’accompagnais assez maladroitement. On regardait des films, on papotait de fringues, de stars, de coiffures, de l’existentialisme français. Comme tout étudiant en beaux-arts, mon ami avait du goût. Il m’a fait connaître beaucoup de lieux artistiques dans cette ville. Ayant toute confiance en lui, je le suivais aveuglement. C’est grâce à lui que, malgré les hectolitres de café et de coca qu’on buvait ensemble, je suis devenue connaisseuse en matière de vin. Parfois l’un de nous allait chercher des chips ou des biscuits rue des Tongres. En toute impunité, nous prenions du bon temps, sachant que Philip ne rentrerait pas avant le soir.
En ce temps-là, je ne connaissais pas grand monde à Bruxelles et je dois dire que Marc était alors mon meilleur pote. Mon frère. Mon ami.
Parfois son visage s’assombrissait soudainement. C’était nos mauvais jours. Il tournait autour du pot, sans appeler les choses par leur nom, il parlait par allusion,  par ouï-dire, par mots-clés. Et moi, j’étais perdue, incapable de comprendre où il voulait en venir. Il m’effrayait alors.
Au printemps, quelque chose s’est cassé entre nous. Philip étant parti en voyage d’affaires pour quelque temps, un jour, je suis venue plus tard que d’habitude. Nous le trompions, tous les deux. Moi, de mon point de vue, innocemment. J’avais le double des clés. Je suis entrée sans faire de bruit, sachant que mon ami aimait faire la grasse matinée. La porte de la chambre était ouverte. À la vue de leurs corps nus plongés dans un sommeil profond, j’ai tressailli de honte. Ou peut-être de déception. D’incrédulité ? Effarouchée, j’ai reculé, faisant plus de bruit que j’aurais voulu. Alors que j’atteignais la poignée de la porte, j’ai senti une main sur mon épaule :
- Pourquoi le fais-tu ? Pourquoi tu lui mens ? ai-je crié. J’ai regardé son visage presque enfantin, perplexe et terrifié.
- On lui ment tous les deux, a-t-il rétorqué avec colère. Toi aussi, mais différemment. Après un moment, il s’est adouci.
- Ne lui en parle pas, s’il te plaît. Il a baissé la tête. Tu ne le comprends pas, je l’aime vraiment. Formulés pour la première fois, les mots « je l’aime » ont sonné maladroitement dans sa bouche.
- Ça… il a pointé du doigt la chambre, ça ne compte pas.
Indignée, je regardais les moisissures sur le mur. Je n’aurais pas su dire si c’était de la solidarité avec Philip le cocu que, de toute façon, je n’aimais pas. Cette incertitude me rendait folle.
Je ne savais plus où j’en étais. J’ai dévisagé l’homme qui me regardait d’un air suppliant.
- Je vais faire un effort, mais je ne te promets rien, ai-je dit impassiblement. Excuse-moi. Je dois m’en aller maintenant. J’ai dévalé l’escalier sans attendre l’ascenseur en fil métallique et, avec soulagement, j’ai pris dans mes bras le vacarme de la rue. J’y suis revenue le lendemain, mais rien n’était plus comme avant. Les cours de français ne me plaisaient plus. On a commencé à s’éviter avec Marc. À la fac, il s’est inscrit à d’autres cours. Ça m’a soulagée. Paradoxalement, Philip est devenu de plus en plus jaloux. Il me tenait à distance et, renfrogné, me regardait de travers. L’aversion mélangée d’hostilité enflait entre nous comme un ulcère. Je ne l’aimais pas, et en même temps, j’éprouvais de la compassion pour lui.
Il se doutait de quelque chose et moi, je ne savais pas s’il fallait entretenir ses soupçons. Je ne le voulais pas. Je ne savais pas quoi faire. Parfois j’étais même sur le point de lui dire qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Que ce n’est pas moi qui mettais leur couple en péril. En effet, je suis venue de Pologne avec mon compagnon et on envisageait de se marier à l’automne. Pourtant, je ne lui ai rien dit. De toute façon, le monstre aux yeux verts qui s’était emparé de son imagination n’y aurait pas donné foi. L’ambiance devenait de plus en plus lourde. Marc souffrait toujours davantage à cause des peines infligées par son copain : peu importe si je pensais qu’il le méritait bien. Ayant collaboré par inadvertance à la construction de cette spirale de soupçons, je n’étais pas fière de moi.
Un matin, en buvant du café sur la terrasse, je me suis dit qu’il était temps de finir mon histoire. J’ai repassé toutes les chemises jusqu’à la dernière et j’ai laissé dans un endroit bien visible de la cuisine les clés avec un bref message d’adieu sur une feuille blanche. J’ai claqué la porte, pris le vieil ascenseur en fil métallique et écouté son cliquetis pour la dernière fois. Dans mon cœur, j’ai emporté avec moi l’amour éveillé pour la langue française et, dans ma mémoire, le panorama de l’avenue de Tervuren.
Grâce à la vue depuis la terrasse de Marc et Philip, je sais pourquoi on la qualifie de rue la plus belle d’Europe.
C’est vrai qu’en bas, on ne peut pas en apprécier toute la beauté. Comme deux autres voies grandioses dans cette ville (avenue Louise et boulevard Général-Jacques), elle est l’œuvre de Léopold II. Mais, c’est sans doute l’avenue de Tervuren qui était la plus chère au cœur du roi. Monumentale, elle fait dix kilomètres de long. Large comme si l’architecte avait prévu, qu’après un grand boom automobile, le XXe siècle serait le triomphe de l’écologie et que le vélo deviendrait le maître de la rue. Tous les moyens de transport y vivent en symbiose. Voitures, trams, vélos n’empiètent pas les uns sur les autres. Ils sont à l’aise à l’ombre de la double rangée de châtaigniers. La rue serpente à travers trois quartiers, le long du plus grand parc de Bruxelles (Woluwe : 71 ha) et quelques autres plus petits, puis elle traverse l’autoroute et se termine par le rondpoint tout près du palais de Tervuren, à présent le siège du Musée royal de l’Afrique centrale. Tout du long se succèdent des ambassades. Point de vue ou point de mire, ça dépend de quel côté on regarde, domine l’Arc de Triomphe, comme une grande porte sur la ville. En-dessous, il y a un tunnel. Avant d’atteindre l’arc, les voitures s’engouffrent dedans pour réapparaître un peu plus loin, de l’autre côté, dans le quartier des eurocrates…
Hier, arrêtée au feu rouge dans les parages de Merode, il m’a semblé voir Marc. Je le reconnaîtrais partout par sa cicatrice sur les lèvres. Il a mûri et s’est assagi. Il tenait la main d’une fille, âgée peut-être de trois ans, son autre bras enlaçait la fine taille d’une blonde attrayante. Un rayon de soleil couchant a fait scintiller une alliance à son doigt. La boule bien connue a de nouveau saisi mon âme. Le feu venait de passer au vert. J’ai saisi plus fort le volant et appuyé sur la pédale d’accélérateur. 
​
Agnieszka Korzeniewska
Traduction : Pawel Hladki & Pierre Sérié


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